« #ShiftThePower ne consiste pas seulement à trouver de l’argent, mais aussi à faire preuve de la volonté de progresser ensemble » – Faites connaissance avec l’alliance Giving for Change: L’Association Burkinabè de Fundraising
02 Sep 2021
Dans ce cycle d’entretiens, nous vous présenterons les principaux partenaires impliqués dans Le programme Giving for Change! Ce programme quinquennal de 24 millions d’euros sera mis en œuvre au Brésil, au Burkina Faso, en Éthiopie, au Ghana, au Kenya, au Mozambique, en Palestine et en Ouganda, et est piloté par un consortium de quatre organisations : la Africa Philanthropy Network, la Kenya Community Development Foundation, le GFCF et la Wilde Ganzen. L’objectif de Giving for Change – qui fait partie du programme « Power of Voices » du gouvernement néerlandais – est d’encourager les dons locaux en tant qu’expression de la voix, de la participation civique, de la solidarité et des dissensions. Le programme permettra de recueillir des données sur les nouvelles idées, les démarches et le leadership en faveur du développement de la philanthropie communautaire.
Dans cette interview, nous nous entretenons avec Abdoulaye Sawadogo, directeur exécutif, et Lenie Hoegen Dijkhof, coach/consultante auprès de l’Association Burkinabè de Fundraising (ABF). L’ABF intervient dans tout le Burkina Faso et se spécialise dans le renforcement des capacités des organisations communautaires de la société civile à mobiliser des soutiens et des ressources en vue des initiatives de développement local.
GFCF: A quoi ressemble actuellement la philanthropie communautaire au Burkina Faso ?
Abdoulaye: Le terme » philanthropie communautaire » est nouveau au Burkina Faso, et n’est pas très répandu en raison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, les gens ont une mentalité de personnes assistées – ils ont donc tendance à attendre des financements extérieurs. Les gens étant habitués à être aidés, ils n’ont pas l’habitude de faire des dons pour des projets de développement Ensuite, et comme le confirme un récent rapport publié par la Africa Philanthropy Network, il y a un certain nombre d’obstacles au développement de la culture de la philanthropie communautaire au Burkina Faso. Il s’agit notamment du cadre juridique défavorable actuel pour les osc, du complexe de dépendance et de la méfiance envers les organisations communautaires – les gens ne les trouvent pas crédibles et ne veulent pas donner leur argent à ces structures. Comme vous pouvez le constater, nous avons beaucoup à faire !
Cela dit, lorsqu’il y a un problème ou une crise comme une catastrophe naturelle ou le terrorisme, les gens donnent de la nourriture et d’autres formes de soutien pour aider ceux qui en ont besoin à résoudre les problèmes. Les gens trouvent normal de soutenir leurs frères et sœurs. Cependant, de manière générale, les Burkinabés n’ont pas l’habitude de contribuer régulièrement au soutien des projets communautaires et des initiatives de développement à long terme.
Lenie: Le Burkina Faso connaît une « philanthropie invisible » qui n’est pas souvent perceptible et dont on ne parle pas. Comme Abdoulaye l’a souligné, s’il y a une catastrophe ou une urgence dans une famille, tout le monde va contribuer parce que chacun se sent obligé de soutenir un membre de sa famille ou un parent qui pourrait avoir besoin de soins médicaux. Par ailleurs, j’ai vu que, d’après les statistiques, 6 % de la population du Burkina Faso est déplacée. Mais plus de 72% de ces personnes déplacées ont depuis trouvé un abri, car elles ont été accueillies par des familles dans les régions où elles se sont retrouvées. Il y a beaucoup de dons intrafamiliaux qui se font et qui ne sont pas comptabilisés. Cette forme de philanthropie est bien développée, mais elle n’est pas régulièrement prise en compte.
GFCF: Que représente #ShiftThePower pour vous/votre organisation ?
Abdoulaye: #ShiftThePower consiste simplement à opérer des changements structurels – changer la mentalité au sein des collectivités locales et leur faire comprendre qu’elles ont leur propre pouvoir et devoir et qu’elles doivent les revendiquer. Pour le moment, les membres des différentes communautés ne connaissent pas les lois et les mécanismes juridiques qui les protègent, et nous considérons que l’un de nos rôles à l’ABF est dans le partage et la diffusion de ces informations. Ainsi, au cours d’une formation au niveau communautaire, nous avons constaté que les membres de la communauté n’étaient pas au courant d’une loi pertinente permettant aux communautés de réclamer un soutien financier pour les personnes handicapées. Même le maire était surpris ! Il nous est apparu clairement qu’au niveau de la base, les gens ne sont pas informés et que les autorités locales communiquent moins pour rendre ces informations facilement accessibles. Nous devons donc faire en sorte que ces lois soient plus claires et mieux comprises, afin que les communautés locales puissent utiliser leur pouvoir, revendiquer leurs droits et exiger des autorités ce qui leur est dû. Nous avons beaucoup à faire pour sensibiliser les gens ordinaires, mais au sein de l’ABF notre rôle est de rendre ces informations accessibles.
Dans le même temps, nous devons travailler avec les autorités, en les encourageant à jouer un rôle plus important pour que le développement se fasse réellement à la base. Pour nous, #ShiftThePower se situe donc à deux niveaux : nous travaillons à la fois avec les différentes communautés et avec les autorités. Nous envisageons actuellement d’organiser un forum et d’inviter les ONG locales à venir faire part de leurs expériences réussies dans les différentes régions. Les autorités locales seront également présentes. Cette démarche a pour but d’aider les différents acteurs à puiser dans une source d’inspiration et à donner des exemples novateurs de ce qui marche, afin que ces exemples puissent être reproduits ailleurs.
C’est lorsque les communautés locales et les autorités locales peuvent réellement travailler ensemble à la poursuite des mêmes priorités qu’un développement efficace peut avoir lieu. C’est une démarche structurelle pour #ShiftThePower.
GFCF: Comment le programme Giving for Change entend-t-il à faire progresser la philanthropie communautaire ou #ShiftThePower au Burkina Faso?
Abdoulaye: L’ABF a un grand rôle à jouer pour rendre les structures et les associations communautaires plus transparentes et crédibles, afin qu’elles puissent gagner la confiance des gens ordinaires qui, à leur tour, feront des dons à ces structures. Par le biais du programme, nous entendons également plaider en faveur des lois qui faciliteront le don pour le développement – comme je l’ai déjà mentionné, le cadre juridique actuel n’est pas favorable.
Cependant, l’État à lui tout seul ne devrait pas être responsable du développement dans tout le pays. Il faut que ce soit une responsabilité partagée, que les gens soient prêts à faire des dons au niveau communautaire. Nous miserons sur les efforts en place en matière de philanthropie dans lesquels nous avons vu des gens s’entraider en temps de crise ou de perturbations. Accueillir quelqu’un, lui donner un abri et répondre à d’autres besoins fondamentaux, c’est beaucoup quand on considère ces contributions mensuelles. Ce genre de don est un atout dont nous disposons au Burkina Faso et il peut nous aider à faire progresser le programme Giving for Change. En effet #ShiftThePower ne consiste pas seulement à trouver de l’argent, mais aussi à faire preuve de la volonté de progresser ensemble. Ce sont des idées qui nous aideront à aller de l’avant.
Jusqu’à présent, dans le cadre de nos activités avec le programme, nous avons formé des formateurs certifiés en collecte de fonds au niveau local. Le programme est entièrement fondé sur l’adhésion des membres de la collectivité locale et nous constatons que les collectivités locales appuient déjà la démarche. Il s’agit d’un pas dans la direction du changement des mentalités et de l’abandon de la dépendance vis à vis des bailleurs de fonds étrangers.
GFCF: Comment le programme Giving for Change peut-il aider à encourager les bailleurs de fonds/ONGI à réellement rapprocher le pouvoir et les ressources du terrain ?
Abdoulaye: La priorité consiste à veiller à ce que le pouvoir se retrouve à la base. Par exemple, nous sommes en train de développer un fonds qui sera soutenu par les entreprises, même si les ressources mobilisées seront dirigées vers les communautés. Nous étudions différentes modalités de mise en œuvre de la responsabilité sociale de l’entreprise et encouragerons les entreprises à faire des dons au bénéfice de leurs collectivités locales. Les entreprises sont tout à fait tenues de participer au développement, mais l’État a également un rôle à jouer dans cette perspective. L’État a intérêt à réduire les taux d’imposition des entreprises disposées à soutenir leurs collectivités locales et à faire en sorte qu’il soit plus facile pour celles-ci de faire des dons, du point de vue administratif.
Les ONGI devraient financer le renforcement des capacités et la croissance organisationnelle des institutions locales au niveau communautaire. Elles leur apportent un appui depuis des années, mais les résultats ne sont pas perceptibles. Nous ne pouvons pas continuer comme si de rien n’était. Comme je l’ai déjà dit, nous devons veiller à ce que les institutions communautaires soient crédibles et fiables. Sans les ONGI, de nombreuses organisations locales risquent de disparaître– elles sont très fortement dépendantes du financement des ONGI. Par conséquent, les ONGI ont intérêt à réexaminer leur mode de fonctionnement. À l’avenir, elles doivent réfléchir à la meilleure façon de renforcer les capacités de leurs partenaires. Si nous continuons ainsi, nous aurons encore de piètres résultats en matière de développement pour les 100 prochaines années. Il est temps que les ONGI opèrent des changements sur leurs modalités de financement des organisations locales ; la priorité doit être accordée à la formation de dirigeants locaux puissants.
GFCF: Avez-vous d’autres réflexions ou observations?
Abdoulaye: Cela me rappelle les paroles de Thomas Sankara, ancien président du Burkina Faso. Tout le monde ici connaît le rêve qui fut le sien: même s’il n’a malheureusement pas vécu assez longtemps! Il a toujours dit que le plus important, c’est la communauté, et que le développement ne se fera pas sans la participation des collectivités locales. Si les communautés s’investissent dans le processus, elles seront plus sérieuses par la suite. Qui que vous soyez au sein de la communauté, vous êtes importants : vous êtes importants pour votre société et vous pouvez contribuer à son développement.
Entretien mené par: Ese Emerhi, GFCF Global Network Weaver et Tarisai Jangara, spécialiste des communications au GFCF
Ci-après les autres partenaires de Giving for Change:
Brazil Philanthropy Network for Social Justice
Coordenadoria Ecumênica de Serviço – CESE (Brazil)
Development Expertise Center (Ethiopia)
Global Fund for Community Foundations (South Africa)
Kenya Community Development Foundation
MICAIA Foundation (Mozambique)
It is great to have ABF! Maybe other organisations working on philanthropy will emerge.