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Il est bon de parler…un manifeste pour le pouvoir de la communication dans la révolution de l’action locale

16 Jun 2020

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Un membre d’une petite organisation de la société civile colombienne a récemment déclaré à un collègue : « Nous sommes invisibles ! » Elle s’est sentie ignorée, sa voix pas entendue, et dans les podcasts de la GFCF que j’ai produits l’année dernièrei, les contributeurs avaient le même sentiment. « La plupart du temps, il n’existe pas de cas où les agences ou les organisations prennent le temps d’écouter activement » ii.

La promesse de la « localisation » qui change les règles est perçue avec suspicion. Comme l’a si bien dit Manu Gupta de SEEDS India et de NEAR, « La localisation est plus pour les ONGI et les donateurs du Nord. L’action locale est ce à quoi s’engagent des organisations telles que la nôtre » iii. Bien que nous nous battons pour #ShiftThePower, souvent tout ce qui arrive est #ShiftTheMoney et pour nos contributeurs de podcast les deux choses sont très différentes. Pour eux, la localisation signifie simplement « Voici tout notre argent. Et maintenant, nous allons diriger votre organisation pour agir de la même manière que nous l’avons vu faire dans 50 autres pays » iv.

Très peu de pouvoir a été déplacé, les voix locales ne sont pas entendues. Les gens et les organisations locales restent invisibles. Si nous voulons changer la donne, une meilleure communication peut-elle aider à faire parler les gens, à les faire collaborer, à les faire agir de  manière solidaire ? La technologie peut-elle nous aider dans tout cela ? Je suis complètement convaincu du pouvoir de la communication. Je travaille avec l’organisation Communication for Development (communication pour le développement) depuis un certain temps maintenant, et pour moi, il est clair qu’il ne s’agit pas de technologie, mais il s’agit bien de philosophie. J’ai essayé beaucoup de choses. J’ai aidé à  construire un réseau mondial, parce qu’il se dégage un pouvoir de la solidarité et de la collaboration. J’ai utilisé la vidéo, parce qu’elle peut raconter des histoires de façon plus parlante que le texte écrit. J’ai utilisé Skype, Zoom, les forums, les webinaires, les podcasts et toute la boîte à outils des médias sociaux en pleine expansion, parce qu’elle donne aux gens de nouvelles façons de parler et de partager. J’ai également constaté le pouvoir de rassembler les gens dans une même pièce et j’ai vu leur soif de le faire. En cours de route, j’ai vu que tout ce que j’ai tenté se heurte à des obstacles. Ces obstacles ne sont jamais complètement surmontés. La plupart de ces initiatives sont des expériences et certaines échouent moins que d’autres, mais nous tirons des leçons de toutes ces initiatives et de celles-ci émerge non pas une
technologie mais une philosophie. Voici quelques étapes à franchir.

Je travaillais depuis un an avec le naissant « Réseau mondial pour la prévention des catastrophes ». Des centaines d’organisations membres, pour la plupart de petites OSC travaillant au niveau communautaire, l’avaient rejoint. Nous avons utilisé le courrier électronique, les forums et le site web pour que les gens puissent parler et travailler ensemble. Désormais, nous pouvions nous permettre de rassembler 80 d’entre eux à Londres. La pièce au sous-sol de l’hôtel était bondée. Le bruit était effrayant, la conversation constante. Nous avons utilisé la  technologie – les « systèmes de vote » – pour que chacun puisse cliquer sur son clavier pour exprimer son opinion. Oui, il s’agissait bien de la technologie, mais aussi de la philosophie – par la suite les gens nous ont dit que cela réduisait l’effet « voix du grand manitou ». Parler faisait du bien. Néanmoins, lorsque j’ai affiché deux graphiques à l’écran – une toile d’araignée rayonnante et un « berceau de chat » enchevêtré – et que j’ai demandé lequel représentait notre façon de communiquer, tout le monde était d’accord que la toile d’araignée était l’image la plus fidèle. J’ai demandé combien de personnes avaient communiqué, par exemple, avec un membre actif du réseau et quelques mains se sont levées. J’ai demandé combien de personnes avaient communiqué avec le secrétariat et bien sûr, tout le monde l’avait fait. Le secrétariat était au centre de la toile d’araignée. La réunion de Londres a été un rare passage de la toile d’araignée au berceau des chats…pour les quelques
privilégiés qui ont pu s’y rendre.

Comment pourrions-nous transformer la toile d’araignée en berceau de chat ? Comment pouvons-nous libérer le pouvoir des membres qui collaborent ensemble ? Peut-être pourraient-ils partager leurs connaissances ? Nous avons lancé un projet de récit vidéo « Action at the Frontline » v et, forts d’expériences précédentes qui avaient échoué, nous l’avons rendu collaboratif : des membres écrivaient des scénarios, assemblaient des images et un vidéaste chevronné montait les vidéos pour eux. Une conversation fortuite a suggéré de transformer le projet en un concours avec vote. Ce fut une grande source de motivation. Ayant espéré avoir dix vidéos, plus de cinquante ont été très rapidement soumises et les gens se sont penchés assidument sur elles pour leur attribuer des notes.

Plusieurs des vidéos ont montré que c’est le processus de collaboration qui est aussi important que les résultats. Par exemple, l’une d’entre elles parle d’une communauté du quartier de « Lower Motowoh » de Limbe City au Cameroun. Le mot « Lower » (inférieur) est révélateur : les habitants vivaient sur des terres basses et bon marché qui étaient régulièrement inondées en raison de l’envasement du cours d’eau et du blocage des drains. La vidéo racontait comment l’OSC locale travaillait avec la communauté pour agir. La résignation et la passivité  compliquaient les choses et beaucoup des habitants n’étaient pas prêts à participer, mais peu à peu, le cours d’eau a été dragué et les déchets  ont été retirés des égouts. Lorsque la communauté a vu passer les prochaines pluies sans inondation, elle a jeté un nouveau regard sur elle-même, d’autres personnes ont rejoint le mouvement et ont discuté de ce qu’elles pouvaient faire ensuite. Le conseil municipal s’est également penché sur la question et a apporté son soutien. Le processus a créé un nouveau sentiment de confiance et d’estime de soi au sein de la communauté, ce qui a été le point de départ pour des résultats, en déplaçant le pouvoir.

Néanmoins, bien que notre projet vidéo ait réussi à permettre aux membres de visionner les histoires des autres, il n’a pas alimenté la communication « berceau du chat » qui, je le croyais fermement, était le point de départ pour bâtir ce sentiment de confiance et d’estime de soi parmi les membres du réseau, rendant visible l’invisible.

Certains projets à petite échelle ont pourtant fait parler les gens. Les membres ont créé une page Facebook et l’ont utilisée pour discuter et partager, bien qu’étant cloisonnés en groupes linguistiques. Nous avons organisé des conversations Skype en petits groupes et lorsque les gens partageaient leurs travaux et leurs méthodes, d’autres les interrogeaient dans le détail et se mettaient hors ligne pour poursuivre les conversations. Le réseau s’est développé, les rassemblements mondiaux qui succèdent à l’événement de 2010 ont lieu tous les deux ans, mais il reste le défi de transférer le pouvoir – au sein du réseau sans parler de plus largement.

En lisant ceci, certains pourraient remarquer une résonance entre l’événement de 2010 que j’ai décrit et le symposium « Pathways to Power » de la GFCF à Londres en 2019. J’ai eu la chance d’y assister et j’ai pu sans aucun doute constater des similitudes. La même foule de personnes, la même salle comble au sous-sol, la même énergie et les mêmes échanges animées, le même sentiment de bâtir une collaboration, une solidarité, un partager de ses préoccupations, une confiance et une estime de soi. C’est formidable de se rendre compte que d’autres partagent vos luttes et vos valeurs, que vous n’êtes pas seul, et que vous ne vous faites pas d’illusions ! Il y avait même un autre modèle de berceau de chat – un exercice de cartographie du réseau Pando visualisant nos liens. Là encore, inévitablement, nous n’étions ensemble que pour très peu de temps et nous étions les rares privilégiés. La rencontre a souligné qu’il est bon de parler – le processus aussi bien que le résultat. Mais comment ce genre de conversation et de collaboration peut-il se faire à l’échelle mondiale, en transcendant les barrières de la géographie et de la langue?

Je travaille sur ce sujet depuis un certain temps et je me demande si la technologie pourrait enfin rattraper la philosophie. La communication peut-elle franchir les barrières de la langue et de la géographie ? Pouvons-nous créer des lieux et des espaces où les gens peuvent communiquer directement entre eux au sein d’un processus créant confiance et solidarité, rendant visible l’invisible, déplaçant le pouvoir aussi bien que l’argent ? Nous venons de lancer une expérience, en collaboration avec le GFCF, qui utilise des technologies permettant une conversation multilingue fluide entre praticiens. Peut-être que cela peut contribuer à enchevêtrer la toile d’araignée pour en faire un berceau d’un chat, renforçant ainsi le processus de partage, d’encouragement, de collaboration, de travail solidaire. Si cela vous intéresse et si vous souhaitez vous impliquer, contactez-nous, et très bientôt nous vous écrirons à nouveau pour vous raconter ce qui s’est passé ! Il ne s’agit pas de technologie (bien que cela puisse aider), mais de philosophie ; je persiste à croire que pour déplacer le pouvoir…il est bon de parler.

 

Par: Terry Gibson, Inventing Futures, terry.gibson@inventing-futures.org

 

i « Chemins vers le Pouvoir » podcasts https://globalfundcommunityfoundations.org/news/introducing-thepathways-to-power-podcast-series/
ii Oscar Fwangmun Danladi dans le podcast « Pathways to Power » 2
iii Communication personnelle : Janvier 2020
iv Sam Wothuis dans le podcast « Pathways to Power » 1
v Méthode « Action at the Frontline » : https://www.gndr.org/programmes/action-at-the-frontline.html et projet vidéo : https://www.gndr.org/component/k2/itemlist/category/208.html?Itemid=409

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